J’ai longtemps hésité avant d’écrire sur le sujet brûlant d’Hadopi. Il me faillait peser le pour et le contre afin d’avoir un point de vue cohérent. Je crois fermement en la capacité du net à promouvoir la production des artistes, et donc à les rémunérer en conséquence. Le problème c’est de rémunérer les artistes proprement alors que le coût de diffusion de leur production est dérisoire. Avant nous achetions un objet : k7 ou CD ou DVD, maintenant le support est numérique, donc reproductible et diffusable à l’infini gratuitement. Il est donc plus difficile d’en justifier le prix. Les studios et maisons de disques doivent donc retourner à un métier plus traditionnel de production, forcément moins lucratif.
Ainsi et pour une fois, la France est pionnière sur internet et va être (ou pas) le premier pays à appliquer un filtrage géant des internautes: c’est l’aboutissement de 10 ans de lutte acharnée des majors contre Internet (il faut le dire). L’intérêt de cette loi, c’est d’avoir mis le débat sur la place publique : les majors ont poussé les politiques à prendre position et à légiférer sur le téléchargement illégal.
(MAJ: le 9 avril 2009, la loi a été rejetée par l’opposition, retour à l’assemblée le 29 avril 2009)
Pour résumer trop brièvement l’idée: la loi met en place un système pour détecter les internautes téléchargeant des contenus illicites; et appliquer une riposte graduée allant de l’alerte email à la coupure définitive de l’accès internet. Tout cela sans passer par un tribunal. Pour avoir plus de détails l’article de maître Eolas sur le sujet est excellent.
Qu’elle soit votée ou non, réalisable ou pas, sauve la culture ou non, ce qui me pousse aujourd’hui à en parler c’est avant tout la passion qui anime le débat soulevé par ce sujet: tout le monde défend becs et ongles sont pré carré. D’un coté, les internautes militent pour un Web libre permettant le partage de la culture (la quadrature du net ou Jaimelesinternautes.com); de l’autre les politiques poussés par les lobbys de la musique et du cinéma (jaimelesartistes), veulent simplement enrayer le piratage.
Avec cette loi, le gouvernement remet dans la conscience collective que télécharger illégalement est répréhensible, mais surtout qu’un moyen est en place pour pister les contrevenants. Le seul hic, c’est que même si le téléchargement illégal diminue (ce qui est probable); il est beaucoup moins probable de voir le CA des majors se stabiliser. Pourquoi ? Simplement parce que la question de l’offre n’est pas résolue.
Les personnes téléchargent illégalement pour plusieurs raisons:
- C’est trop cher, et donc les internautes retourneront à d’autres solutions: écoute en streaming, encodage de CDs, transfert de bibliothèque mp3 par disque durs, transfert direct par internet etc.
- Offre légale incomplète, le P2P permet de trouver tout et n’importe quoi: des versions jamais sorties, des livres etc. Les limitations sont trop importantes: DRM, plateformes et lecteurs pour Windows et Mac seulement, visualisation limitée dans le temps pour la VOD.
- Les technologies sont plus performantes, comme le torrent : téléchargement automatique des séries, classement par la communauté, extrêmement rapide fiable et libre (sans DRM et accessible sur les distribution de Linux).
Tant que les majors n’appliqueront pas des solutions efficaces, je n’imagine même pas une stabilisation de leur chiffre d’affaire ou la fin d’une querelle de générations croissante… Affaire à suivre tant au niveau pénal, technologique ou social.